11 octobre 2004

Cerveau ramolli

Un jour ordinaire d'octobre...

Mal réveillée, la tête dans le fondement, je t'aperçois au loin qui s'avance. La première chose qui me vient à l'esprit à ton propos? Là, voilà: "Et merde, il va falloir lui dire bonjour ou quoi?"... Sur le macadam résonnent tes pas lourds et gauches, tes hanches adipeuses te font tanguer de manière aléatoire: gauche/droite/milieu/droite / gauche/etc.. Pourtant, rien ne semble te troubler. En effet, ton esprit est tellement englué dans un processus de perfection, qu'à ton propre avis, tu ne sembles pas avoir de défaut. Oui, tout est parfait, penses-tu. Ce matin, encore un matin, un matin pour rien, tu n'as pas coiffé tes cheveux. Je me demande même depuis combien de temps ils n'ont pas été lavés. Avec l'après-shampoing et tout. Je me pose la question d'ailleurs, sais tu ce qu'est un après-shampoing? Là n'est pas la question. Ta coupe courte empêche les gens de critiquer de trop, ils ne peuvent pas voir que tu ne te coiffes qu'un jour sur trois, comme ça. Et puis, tu l'as faite toi-même, cette coupe.
L'air est froid, le vent attaque tes joues qui se battent contre la couperose. Combat inédit, n'est-il pas? Ce matin, tu regrettes ne pas avoir mis de chaussettes, mais tu as pensé que tu ne rentres plus dans tes chaussures, avec des chaussettes. Tes pieds ont pris du volume, ces derniers temps. Et ces petits poils sur les orteils, tu trouves ça trop sexy, même. Par contre, il faudrait que tu changes de chaussures, elles sont usées au bout et la semelle se décolle. ça fait mauvais genre, tu as une certaine respectabilité, faut pas non plus cracher sur sa propre image, plutôt la cultiver. De manière positive. C'est très important, une paire de chaussures, ça révèle beaucoup de choses sur la personne qui la porte.
Soudain, tu te retournes. Tu te demandes si tu n'as pas fait tomber un truc. Ah non, c'est juste ton sac qui rebondit sur ton manteau élimé, juste sur la poche, là où se trouvent tes clés. ça te rassure, tu n'avais pas envie de te baisser, de toute manière. Tu regrettes de ne pas avoir racommodé les boutons de ton manteau, il fait frisquet ce matin, tu espères ne pas attraper un rhume. C'est vrai, quoi, tu ne vas pas racheter un manteau cet année, ça fait juste 8 ans que tu as celui-ci, il est encore mettable. Il ne faut pas jeter l'argent par les fenêtres.
Le fait qu'il soit ouvert (le manteau, faut suivre!) permet de voir ce que tu as choisi de porter aujourd'hui. Je n'ose pas trop regarder, et puis j'ai l'impression que tu portais déjà la même chose la semaine dernière. Un gilet dont j'ai oublié la couleur (et vice-versa) sur un chemisier brodé. Pas n'importe quelle broderie: des oiseaux de paradis. ça met tout de suite de la gaité. Ces couleurs chatoyantes sur un tissu qui jadis a été blanc, tout bonnement unique. Ta jupe bleu marine (longue et chaste) remontée sous les aisselles laisse juste de quoi apercevoir les broderies du susdit chemisier. Quand même, fallait pas louper ça.
Ton sac ballottes toujours sur ton épaule, je ferme les yeux un instant. Pour un lundi matin, croiser ton regard serait supplice. J'aspire à l'oubli, juste deux secondes, le temps de te croiser. Malheureusement, j'ouvre les yeux au mauvais moment. Tu m'as vue, tu t'arraches la bouche pour proférer ce que j'ai pris pour un bonjour. Je hoche la tête, je crois que j'ai dit "'jour", mais je ne me souviens plus bien. Tu es déjà partie, tiens, tu as oublié de mettre de l'eau de cologne ce matin. Tes gros doigts boudinés pas remplis de bagues sortent de tes poches. Je m'enfuis. Tu sais que tu me fais peur, des fois. Ton ricanement nouille m'électrocute. Un instant, je me demande si tu disposes d'un cerveau en état de marche. Mais je reviens vite à la réalité. Non, bien sûr, comment ai-je pu oublier? ça fait longtemps qu'on t'a dit comment penser, et maintenant tu es convaincue. Tu es une référence, on sait bien par ici que tu ne dis jamais de conneries. J'ai pourtant le souvenir tenace, tu ne m'as pas hypnotisée. Tu ne m'auras pas. Va donc voir ailleurs si j'y suis. Mais oui, c'est à toi que je parle. Arrête tout de suite de me regarder. Ne me parle plus, ou bien j'appelle Jack Bauer. Il saura quoi faire de toi, lui.