24 octobre 2004

Liberté, j'écrirai ton nom

Bon d'accord ce sont les vacances. Oui certes, je suis en congé parental (jusqu'en septembre prochain). Mais ma fille a 3 ans et demi, et elle va à l'école (quand y'a pas vacances, en fait, elle y va). Mais là, j'avais envie de parler de ce qui se passe dans cette école maternelle (sans la nommer, hein, chuis pas folle, j'ai peur de représailles -euh non, mais qu'est ce que je dis moi?-).
Voilà.
Plantons briévement le décor. Une petite école maternelle de banlieue, avec 4 classes. Un peu plus de 100 élèves, entre 2 et 5 ans. Une cour de récré super mal foutue, avec une espèce de colline super dangereuse en arrière plan et un bac à sable pas nettoyé pas désinfecté (enfin, si, tous les 20 ans), ni même râtissé (et pas bâché quand il flotte, ça va de soi).

Première chose.
Ton enfant arrive dans l'école, il doit enlever ses chaussures dans l'entrée de la classe. Il n'a pas le droit de retirer son manteau. En fait, il enlève ses chaussures, traverse la classe en chaussettes (ou pieds nus quand il fait chaud), et c'est seulement quand il arrive dans le couloir qu'il a le droit de se désaper un tant soit peu (enlever le manteau). Va sans dire qu'il fait une chaleur torride, c'est toujours surchauffé là dedans.
Bon, ma petite critique personnelle qui n'engage que moi: je trouve débile cette tradition des chaussons qui fait perdre du temps le matin aux petits (et aux grands). Le seul avantage, c'est que les petits nenfants salissent moins la classe avec leurs chaussures dégoûtantes, par définition pleines de boue, de caca de chien, etc etc (à l'appréciation de chacun). Certes, je me surprends à penser parfois que le sol n'est pas nettoyé tous les jours, et que les pans de moquettes, euh, non, n'en parlons même pas de la moquette, c'est sacré, la moquette. C'est quand même crade que le sol ne soit pas nettoyé tous les jours, en plus les adultes n'enlèvent pas leurs pompes, eux. Genre y'a que les mômes qui ont le privilège d'amener les grosses saletés dans la classe. Ces petits diables auraient-ils l'affront de faire nettoyer le sol tous les jourss? Argh! Mon dieu, quelle horreur, vous imaginez? Vous êtes payés pour nettoyer en général, et ça vous fait chier grave, et pour faire passer votre rancoeur, vous obligez des petits innocents à mettre des chaussons à l'école. C'est une épreuve de soumission, et moi, ça m'agace. Je ne peux pas dire plus que "ça fait perdre du temps, les chaussons" ou "c'est pénible, ces chaussons". Si je refuse d'apporter des chaussons pour ma fille, elle se fera rejeter du genre: la pauvre n'a pas de chaussons, sa connasse de mère ne pense à rien (par exemple, et je reste soft).
Bref, les chaussons pour moi, c'est juste quand on a froid aux pieds à la maison. Pas un accessoire ridicule servant de vecteur de domination de la part d'adultes aigris et frustrés.

Deuxième chose
La cour de récréation. La surveillance (entre guillemets tellement cela ne représente pas ce qu'elle définit). Les nanas donc sont assises sur un banc, et regardent juste si les enfants ne font pas de bêtises. Elles n'empêchent pas les enfants de se rouler dans le sable mouillé, et de ruiner leurs fringues (elles s'en foutent, ce ne sont pas elles qui lavent). Elles jettent un oeil distrait (et encore, seulement quand elles n'ont pas leurs règles) sur la colline, là haut, où sont installés des jeux. Si un accident arrive, leur temps de réaction dépasse les 3 minutes. C'est énorme. En plus, y'a des recoins dans la cour, les gamins peuvent s'y planquer pour faire de grosses grosses bêtises.


Troisième chose
Après la toussaint, les enfants vont faire du sport au gymnase. Comme l'équipe ne fait aucune confiance aux parents, elle demande de ramener une paire de baskets à scratches (alors que c'est moche, des baskets à scratches parallèles là, vous voyez? c'est hideux, je ne conçois pas une seconde mettre une choses affreuse à ma fille). Cette paire de baskets va rester à l'école. Et ça, c'est la goutte d'eau. Genre, on fait son pauvre couillon, on achète une paire de pompes uniquement pour l'école. Tu n'as pas le droit de mettre cette paire de chaussures à ton enfant en dehors de l'école (du gymase). C'est pas un peu se foutre de la gueule du monde ça? Ils laissent les enfants se rouler par terre, dans le sable, et en même temps ils veulent une paire de baskets pour eux tous seuls, des chaussures exemptes de saletés. Je me refuse à cela. Ma fille amènera sa paire de chaussures le matin, et repartira avec le soir. Non mais ho, chuis pas Crésus moi non plus. Je ne vais pas non plus me soumettre à de telles conneries. Pour qui ils prennent les gens sans déc?


Bon voilà ça va mieux, maintenant que j'ai parlé.
Bon, il s'agit sans doute déformation professionnelle, mais personne ne me dira qu'on respecte les enfants dans cette école: les chaussons, les baskets, la surveillance aléatoire, la semaine de quatre jours....Que des trucs qui arrangent bien les adultes finalement. Pff, c'est déprimant et pathétique. Si un jour je suis amenée à enseigner dans cette école, j'en finirai avec les chaussons. Bye bye les chaussons qu'on est obligés de changer 3 fois dans l'année cause changement de pointure. Adieu, accessoires de servilité et de soumission. Ah, ça fera du bien, des futurs citoyens libres libérés de leurs entraves.

J'écrirais liberté sur les murs aussi, tiens.



Liberté

Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J'écris ton nom

Sur les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom

Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom

Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom

Sur chaque bouffées d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orages
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom

Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur mes raisons réunies
J'écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom

Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.
Paul Eluard
in Poésies et vérités 1942
Ed. de Minuit, 1942



Parce que c'est aussi dans la vie de tous les jours, dans les actes les plus simples, qu'on nous oppresse, qu'on nous oblige, tout cela sous sous le couvert de normes débiles, dépassées, obsolètes même, voire aiguisée par la paresse, la bêtise ou l'ignorance. Et dès l'enfance. Je refuse de d'hypothéquer la liberté future de ma fille. Même s'il s'agit d'un détail futile.Je comprends bien: il faut des règles et des normes. Mais trop souvent, elles sont dépassées, transgressées, mine que rien.
Quoi, je vais trop loin? Mais non.

A suivre...