19 mai 2006

charles ingalls

L'existence d'un Pierre Richard qui vit avec moi est tellement difficile, si encore vous pouviez savoir tout ce qu'il endure dans une journée, le pauvre homme, c'est à la limite du soutenable. Nan mais franchement, vous l'auriez vu se lever à sept heures ce matin alors qu'il a pris deux jours de congés, le malheureux, et tout ça pour accompagner sa fille à l'école. C'est monstrueux de devoir s'infliger pareille torture. Injuste, totalement injuste. Surtout qu'il répète à qui veut l'entendre que c'est pour sa femme chérie adorée au bord de la rupture physique, ui, pour elle, qu'il a pris deux jours afin d'assurer le fonctionnement de la maisonnée. Car la mauvaise femme qu'elle est a commis l'erreur de subir une fatigue intense, et tel le Super Man du foyer, il s'en est allé à son secours afin de la libérer du joug des tâches ménagères.
A ce qu'il dit.
Ce n'est pas pour rien que son fils s'appelle Monsieur Chonchon. Je crois même que ce bébé a beaucoup à apprendre de son père, quoique cela m'affligeasse pas mal. En fait, rayon ronchon&co, Pierre Richard est champion du monde toutes catégories confondues. Il a toujours un petit soupir guttural bien senti, ou alors une remarque négative dans sa besace. C'est extrêmement pénible de choisir un t-shirt pour son enfant le matin, c'est au-delà des mots, c'est mission impossible. On entend du salon une petite complainte mélancolique au rythme soutenu qui provient du placard de la chambre:"rrrrpfffffffffaaaaaaaaaamaisokséksé pfffaaaarrrrrpénibpénib céhoucéhou on trouvjamériendansplakar".
Ralosor puissance dix milliards.
Après ce passage un peu agaçant, il enchaine immédiatement sur la dévalorisation affective dont il est l'innocente victime: "tu me criiiiiitiques tout le temps, tu ne m'aimes pas en fait, pourquoi dès le matin tu me critiiiiiiiques bouhouhou je suis si malheureux". Là j'ai quand même un sursaut d'amour devant tant de détresse. Si si. Bien sûr je lui dis qu'il est le plus merveilleux du monde, qu'il est so so perfect et yummy yummy, mais lui ne me croit pas parce qu'en fait j'ai trop attaqué mon capital méchanceté à son égard, je suis trop vilaine et incompréhensive, et lui n'en peut plus de cette agressivité. Il voudrait un peu vivre au pays de Mickey quelque part, que la vie soit linéaire et positive, qu'on chantonne tout le temps dans notre petit nid of love, qu'on se dise des mots et qu'on se prodigue des caresses. Pas d'ondes négatives, jamais jamais jamais. Elles lui filent des boutus immondus, elles lui en veulent parce que malgré toute sa bonne volonté, elles ont l'audace suprême de venir l'enquiquiner dans sa conquête positivissime du monde.
Figurez-vous en effet qu'il a tout compris de la vie, pourquoi il est là et d'où il vient. C'est à l'instant même qu'il vient de me le révéler. Mais surtout, surtout que rien ni personne n'ai l'outrecuidance de contrecarrer ses plans, sous peine de ronchonneries maximum sur une durée indeterminée (enfin, jusqu'à ce que tout devienne rose, comme avant, quand les pitis piyapiyons et autres pitis basos répandaient leur joie de vivre sur la prairie verte et fleurie). Le pauvre homme, comprenez-le, sa vie est tellement dure, il nage en plein marasme économique et social, quel désastre, mais comment va t'il faire aujourd'hui pour choisir une paire de chaussures parmi les dix-sept qu'il a obtenues gratos à son boulot? Hum?

En plus, tout le monde lui en veut, c'est pour ça. Même l'aspirateur, qui l'a attaqué ce matin. Il a cru voir la fin, ça lui a fichu un coup. Alors qu'il le passait tranquillement dans la salle de bain (il fait ce qu'il veut d'abord, surtout ne venez pas lui dire quoi faire, c'est LUI qui DECIDE de sa VIE bourdelàchiottes), vlati pas qu'émane du corps de l'animal un bruit spongieux et crasseux. Il sursaute en poussant un cri d'offraie hystérique. Oui j'en rajoute si je veux. Waouh, il a frôlé la crise cardiaque. Quelle angoisse! Rassurez-vous, c'est juste une chaussette qui s'était infiltrée dans le tuyau, provoquant un bruit si terrifiant que l'homme ne s'en est toujours pas remis.

Ah, Pierre Richard, je crois que je vais changer ton petit surnom. Quoique tu méritasses grandement celui-là depuis que tu as rangé les boîtes en plastique en équilibre dans le placard de la cuisine et que tout m'est tombé dessus l'autre jour.

Ronchon'Man, l'homme dont même l'ombre ronchonnait.
Ou Charles Ingalls, l'homme qui ne supportait pas le côté sombre de la force.

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